mardi 25 juillet 2023

Le commando Kieffer, un mythe français

 

Photo : Les commandos rendant hommage à Léon Gautier, le dernier vétéran du commando Kieffer, le 7 juillet 2023, sur la plage de Ouistreham. (Pascal Rossignol / Pool AFP)

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Ils étaient 177, et ils auront été les seuls français à être revenus sur leur sol en combattant, le 6 juin 1944. C'était le commando Kieffer, du nom de leur commandant. Léon Gautier, le dernier vétéran, vient de rejoindre ses frères d'armes, à l'âge de 100 ans, le 3 juillet dernier.

 « Nous ne sommes pas des héros, nous n'avons fait que notre devoir » , aimait-il rappeler lors des commémorations. Mais ce qui semble si évident aujourd'hui, rendre hommage au mythe français de ces 177 commandos, ne l'a pas toujours été, loin s'en faut. Après guerre, l'ambiance n'était pas vraiment aux célébrations des Français de Londres. Lors de sa démobilisation, à Rennes, Léon Gautier s'était ainsi entendu dire « les Français d'un côté, les gaullistes de l'autre » . Tout était dit. Ignorés après guerre, les survivants du commando Kieffer n'auront pas été mis à l'honneur avant des décennies. Chacun de ces héros survivants a dû se battre pour retrouver un emploi anonyme dans le civil. « La reconnaissance, est venue tardivement pour tous les engagés de la France Libre » , expliquait ainsi il y a quelques années le vétéran. « Le général de Gaulle préférait évoquer le Débarquement en Provence plutôt que sur les côtes normandes. Je crois qu'il ne digérait pas de ne pas avoir été averti. Je savais avant lui où on allait débarquer en France. Sur ce coup, les Britanniques ont un peu manqué de diplomatie... » 

C'est en 1942 qu'ont été recrutés les volontaires destinés à intégrer le premier bataillon de fusiliers marins commandos, en cours de constitution sous les ordres du commandant Philippe Kieffer. Après des mois d'entraînement en Angleterre, deux jours avant le D Day, Kieffer rassemble ses 177 hommes pour leur dire : « Messieurs vous connaissez les plans, vous savez ce qui vous attend, il n'y en a peut être pas une dizaine d'entre vous qui reviendront intacts. Celui qui ne veut pas partir, qu'il vienne me voir. Je ne lui en voudrais pas. » Tout le monde partira. Le 6 juin 1944, les 177 combattants Français retenus débarqueront en premier sur la plage Sword de Colleville-Montgomery. À l'époque, sous le tir des mitrailleuses ennemies, le caporal Léon Gautier, 21 ans, aura été le deuxième soldat français libre à poser le pied sur le sol français, derrière le lieutenant Alexandre Lofi, qui lui avait conseillé de ne pas le quitter d'un pas. Ce qu'il fut, sans jamais être blessé. Au final, le commando Kieffer emportera 1,8 km de plage en quelques heures. Il restera 78 jours en première ligne sans relève, montant jusque dans l'Eure. Les trois quarts périront au combat. Seuls 24 d'entre eux ne seront jamais blessés.

Aujourd'hui, le commando Kieffer est considéré, et à jamais, comme un symbole de l'engagement et du courage des Forces françaises libres. Un hommage a été rendu à son dernier représentant, Léon Gautier, le 7 juillet 2023, sur la plage de Ouistreham, à quelques mètres et dans la continuité de la plage historique. Mais comme il raconta, « on nous a laissés tomber comme de vieilles chaussettes au lendemain de la guerre » . « Où étiez-vous durant la Guerre ? » , lui demanda une secrétaire de mairie à Rennes. « En Angleterre » , répondit-il. « Alors, il fallait y rester Monsieur » … Il y retournera, travaillant comme carrossier, se mariant à Dorothy Banks avant de partir en Afrique puis, tardivement, de revenir s'installer à Ouistreham.

Il faudra en fait attendre le début des années 1980 pour que les commandos français conquièrent leur place dans les livres d'histoire, et dans les commémorations. Comme le disait simplement le dernier du commando Kieffer : « la guerre, c'est tuer des gens. Et tuer des gens, ce n'est pas un plaisir. Moi, quand ils se rendaient, j'étais content. [...] J'habite à 800 mètres d'où j'ai débarqué. Je suis très content de voir les enfants jouer et s'ébattre sur la plage en toute liberté. » 

Judikael Hirel


Merci à Christian S. pour cet article